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Textes de l’atelier d’écriture
« Frag…rances »

Le mercredi 14 heures, c’est quand on redescend la semaine, me disait toujours un caissier de l’agence bancaire où je travaillais. À cet instant précis, il était pris d’une sorte d’euphorie. On avait escaladé la semaine, péniblement jusqu’au mercredi midi et soudain, tout allait bien se passer jusqu’au vendredi 17h30 libérateur. Pourtant il ne foutait rien de ses week-ends. Il devait s’em… à la seule pensée d’avoir à refaire sa prochaine escalade.
          Dès le lundi matin, il vivait pour le mercredi 14 heures.
Il s’appelait Arthur, Arthur Kanoukian, ancien épicier de son état, embauché pour sa seule capacité à compter les biffetons comme un dieu. Dans son domaine, c’était comme qui dirait une épée. Avant de balancer les liasses aux clients, elles passaient entre ses mains en émettant un frrtt, frrtt, frrtt même qu’on aurait dit qu’il dressait des insectes.
Pendant ses congés, notre caissier, ancien épicier était aussi un turfiste ; il filait un coup de main à la caisse de l’hippodrome de Villeurbanne. Il pensait canasson, vivait canasson, peut-être même qu’il en mangeait. Je n’ai jamais pu en bouffer, c’est un si bel animal. Vous me direz, les chinois bouffent bien du chien ! On n’est pas plus malins ! Ils font même des combats de chiens, comme nous des courses de chevaux, et ils parient sur celui qui mettra l’autre au tapis. Arthur, il s’en fout de tout ça, il compte de l’oseille qui ne lui appartient pas et redescend « sa » moitié de semaine, béat, en levant les bras comme un vainqueur d’étape du Tour de France. Le Tour de France, il connaît à peine, lui ce n’est pas L’Équipe, c’est Paris-Turf, pourtant il met toujours de côté les anciens numéros de la Cote Desfossés.
« Tu lis la Cote Desfossés, Arthur ? » « Non c’est pour mon beau-frère, il vend des fromages sur les marchés ». C’était l’époque où on avait le droit d’envelopper le fromage dans du papier journal. Je me souviens des « Valençay », fromages du Berry en forme de pyramide, passés dans la cendre. En défaisant l’emballage, on ne savait plus qui avait gagné la partie, la cendre du fromage ou l’encre du journal ? Allez « 1 partout la balle au centre ». Je passais les doigts sur le papier et essayais de deviner les titres maculés, Foot : « l’Allemagne bat la France…à zéro ». « Guy Mollet refuse de… » « La critique… le dernier spectacle de Sacha Guitry ». Encense ? Étrille ? Dézingue ? Applaudit ? « Les Etats-Unis déclarent la guerre à… ? Des fragments


          CR 15/3/19

Fragments de 5 ans,

Ma poupée, ma puce, ma chérie, mon amour, mon bébé, comment en ce grand jour vais-je t’appeler ? Tu es belle comme un ange. Tes cheveux blonds frisés descendent sur tes épaules. Ils sont retenus par un nœud de velours rose. Ton nez mutin, tes yeux rieurs et tes bras toujours prêts à m’enlacer sont un cadeau permanent.
Les cartes d’invitations sont envoyées. Nous les avons réalisées ensemble : un chat dessiné dans un parterre de fleurs. De tes petites mains qui ont gardé ce côté potelé de l’enfance, tu as saisi délicatement les feutres et avec une attention, étonnante pour une fillette de ton âge, tu as colorié. Du bleu pour Lucette, du rose pour Julie, du turquoise pour Océane, du jaune pour Émilie, du rouge pour Paul, du vert pour Yann.
          – Une pour moi aussi ! orange et violette, tu es une véritable artiste ! 
La liste de courses à la main, je parcours les rayons du supermarché. À cette heure matinale, peu de monde. Des œufs, de la farine, du mascarpone, du Nutella bio, des sucettes (tant pis pour les dents, ce n’est pas un jour ordinaire). Du jus d’ananas, de pommes, de l’Ice­tea à la pêche. J’espère n’avoir rien oublié.
La balance, le moule beurré, le chocolat râpé, la levure, la farine, le sucre, sont sur la table. Le tout mélangé dans le saladier et au four ! Les verrines, au fond des biscuits arrosés de sirop de canne, un peu de Nutella, une couche de mascarpone, le tout décoré d’un égrenage
de biscuits bretons au beurre.
        – Hum ils vont adorer !
Sous la tonnelle couverte de vigne dont s’échappent les futures grappes, la table est dressée. Elle est recouverte d’une nappe en coton ; l’imprimé représente une ambiance de cirque. Assiettes en carton de toutes les couleurs. Au milieu de la table, en tas, des chapeaux coniques, des moustaches et des serpentins. Chacun choisira selon son humeur.
Les parents déposent leurs enfants. Les petits s’embrassent, babillent ; en quelques minutes, l’espace est transformé en volière. Cinq ans, ce sont déjà des grands. Il y a ceux qui ne tiennent pas en place, les bavards, les comiques, les timides. Le gouter avalé, chacun choisit son déguisement. D’un coup de baguette magique : grand silence ! Une apparition : Un clown, un vrai clown avec ses chaussures trop grandes, son habit à losanges rouges, son chapeau écrasé, ses grands yeux blancs comme sa bouche et son indispensable nez rouge. Leurs visages interdits, très vite Auguste les déride. Il organise des jeux : à celui qui répondra le premier. Les rires éclatent. Leur bonheur est contagieux.
Les parents reprennent leurs enfants en fin d’après-midi, les vêtements de travers, les cheveux en bataille, les doigts collants, tout comme la bouche. Avec le dernier bisou, Cloé et moi auront les stigmates de l’anniversaire sur nos joues.

      JB 15/3/2019

Cuisiner

Cuisiner, … cuisiner… ça fait un bruit de beurre qui grésille, ça sent la peau de poulet rôti, ça à l’aigreur du pépin de grenade dans la salade d’endives.
Pas besoin d’ouvrir la bouche en grand : faire vibrer le plaisir des sons derrière un sourire des lèvres. Cuiiii-siii-ner !
Il est tellement dynamique ce verbe, il bouge, il fonce, c’est un élan. Impossible de cuisiner sans mouvements, sans désordre, sans dérangement…
Cuisiner, ça déménage. Cuisiner, ça fait empoigner les casseroles, agiter les cuillères en bois, gonfler les morilles dans l’eau tiède, battre les œufs, ça agite le paprika et la maniguette, ça fait chanter le piment d’Espelette et la cannelle, ça envoûte avec la cardamome et la badiane.

Cuisiner, ça prend du temps, ça crée des surprises, ça permet des innovations, ça rend créatif, mais oui, le poivron rouge et la butter nut, mais bien sûr le citron confit dans le filet mignon. Et tes morilles gonflées, tu les mets avec quoi ?
Cuisiner, c’est pas de la littérature. Même si vous êtes poète, inutile d’essayer les escargots au serrano, ni les bulots au cacao, ni les maquereaux aux pruneaux.
          Cuisiner c’est aimer, c’est donner, c’est jouer, partager, enchanter, régaler.
Cuisiner c’est pour les voir sourire, les entendre faire « mmmm », les sentir rassasiés et heureux.

Cuisiner, c’est faire des tartes avec ses petits-enfants, c’est les autoriser à faire sauter des crêpes et à les manger par terre, c’est leur faire découvrir la vraie purée.
Cuisiner, ce n’est pas pour les timides, les rétrécis, les timorés, les peureux. Il leur manque le courage dans l’affrontement. Ils s’affolent devant l’odeur des échalotes roussies. Ils ont la nausée devant le sang du civet. Ils pleurent l’huile d’olive et le cumin dans la marinade de l’épaule d’agneau.
Non, pour cuisiner, il vous faudra, une pincée d’audace, une cuillère de bravoure, 500 g de générosité, 500 g de cœur, saupoudrer avec de la clémence vieillie en fût de chêne et un peu de témérité, relever le tout avec un tour de moulin d’intrépidité. N’hésitez pas à y mettre les doigts, le nez, à goûter, à lécher la cuillère, à écouter la rondeur du bouillonnement, la musique de la friture. Servir chaud.
          Et tes morilles alors ?
          Une poularde peut être ? Avec du vin jaune… Ou un filet de veau, avec du Sancerre…
          Tu me diras.

          OC 23/11/18

Ma cabane

Ma cabane n’est pas une masure où, franchi le seuil, souffle l’indigence, le négligé, l’impuissance, le misérabilisme.
Ma cabane n’est pas une cahute, sol en terre dure, toit de branchages disjoints, espace restreint, porte étriquée, vue sur rien.
Ma cabane n’est pas une case, de chef ou de l’oncle Tom, murs de paille tressée, toit idem, pas de porte, pas de fenêtre, abri de quelque vieillard édenté.
Ma cabane n’est pas ce cabanon romantique, dans une anse, face à la mer, sol de galets polis, barque tirée sur la rive, à la porte, tapis d’algues séchées au seuil ; le toit en planches jointes protège d’un soleil bienveillant des amours enflammées.
Ma cabane n’est pas un abri pour ceux qui n’en ont pas, figures errantes, faméliques et pathétiques, que nous voyons, images à peine floutées, le temps d’un projet médiatique pour ébranler nos consciences.
Ma cabane n’est pas un igloo sur une étendue glacée, dans un blizzard opaque, petits hommes dont on voit les yeux plissés sous leur cape de fourrure et leur sourire gercé.
Ma cabane n’est pas un chalet de planches vernies, de fenêtres décorées de sculpture naïves et de pots fleuris, à flanc de montagne, pente légère de prairies ondoyantes, de cieux bleus zébrés de nuages en langues étirées.
Ma cabane n’est pas un mas de Provence en pierre blanche, volets bleus et toit de tuiles ocre jaune-rouge, refuge de fraîcheur, havres pour conteur de gestes médiévales ou lettres de mon moulin.
Ma cabane n’est pas une loge, un balcon à l’opéra où l’on écoute et parfois entend les plaintes ou les fureurs, les cris d’angoisse, de désespoir, les soupirs des bonheurs, des extases mélodiques et harmonieuses des amours insensées.
Ma cabane est dans l’espace … à cinq dimensions : l’espace, le temps… et le rêve ; les vraies dimensions du bonheur et aussi des pleurs, le temps de l’espoir et du désespoir, l’espace infini où l’on peut être et ne pas être, intrication ou enchevêtrement.
          Le rêve… ma cabane, mon refuge, mon abri.

          GB 15/3/19

Le vieil homme

Le vieil homme contemplait la mer
La mer digérait l’histoire Avant qu’il fût,
déjà elle s’étalait Des rochers rouges à
l’horizon. Balbutiant le long des plages
Miroir intense de l’aube au crépuscule
Elle s’imposait vaste et sereine.

Dans la tête du vieil homme les morceaux de sa vie
S’entrechoquaient, trajectoires éphémères. Aux profondeurs des flots
les souvenirs s’effilochaient Pour certains, et pour d’autres
devenaient galets lisses et brillants.

La grand-mère du vieil homme avait coulé avec le Titanic Laissant dans
la famille une légende inachevée, des secrets chuchotés. Son enfance en avait été parsemée de ces vies emportées par les flots. Sur tous les
océans il avait bourlingué Tentant d’échapper à ces désespérants
murmures

D’un œil distrait il observait le jeune garçon qui perché sur un rocher,
Du haut de ses douze ans, dandinant sans conviction Sa
courte canne à pêche, l’œil vague ruminait LA question
Destinée au grand père :

« Dis papou tous ces gens qui terminent leurs rêves au fond de la mer,
Tous ces africains qui viennent chez nous Et coulent souvent entre Libye et Sicile, ces jeunes, ces femmes,
Ces enfants, est-ce qu’ils finissent dans le ventre des poissons Que nous mangeons ».

Les souvenirs submergèrent le vieil homme. Des naufragés il en avait
sauvé du temps où il commandait des navires. Des drames il en avait
vécu. Pourtant dans l’interrogation du petit, une autre tragédie, Un désespoir profond bousculait son existence. Que répondre ?

Le vieil homme contemplait la mer
La mer digérait l’histoire Avant
qu’il fût déjà elle s’étalait Des
rochers rouges à l’horizon

PG 04/2019

La canicule
  • Quelle chaleur ! Je crois que je vais dormir au frais ! Et toi Alexis ? -Déborah quel mois sommes-nous ? Je suis complètement assommé. -Juin, ça ne te dit rien ? Le mois de la canicule ce mot en usage depuis l’antiquité. Quelle étymologie ? Toi qui as fait du latin.
  • Je trouve canis le chien. C’est ça ? Pour le suffixe j’ai une idée. Quand il fait chaud on coince la bulle. Pas vrai ? Donc je marie canis et bulle et ça fait canicule. La période où le chien coince la bulle. On y est !
  • Toujours le gout de la plaisanterie : Revenons aux latins. Je remarque que ceux-ci liaient le mot canicule au mois de juin. C’est étrange non ? Un mot marié à un mois. 
  • Les anciens liaient beaucoup les événements à la course des astres. Vrai ou faux ?
  • Vrai
  • Au mois de juin apparaît la Constellation du Chien, Canis en latin.
  • On y est, canicule et Constellation du Chien sont liées. Mais pourquoi le suffixe cule ?
  • En bon français les suffixes en cule annoncent en général un diminutif, par exemple dans minuscule, c’est celui qui est encore plus petit qu’un minus, toi par exemple.
  • Tu me provoques ! Ta théorie ne tient pas, je suis majuscule et non pas minuscule.
  • Arrête ! Revenons à canicule. Je reprends la thèse de canis et de petit. Canicule voudrait dire le petit chien ! N’est-ce pas poétique ? Donc quand il fait chaud, on caresse le petit chien 
  • Je revois la voute des cieux. Au mois de juin, apparaît la Constellation du Chien, dont l’étoile la plus brillante est Sirius ou Canicula, qui a donné la canicule !
  • Ouah ! T’es vraiment bonne avec tes étymologies ! Pour ta récompense je vais te citer un dicton :

                  Lorsque les canicules s’emballent, l’Afrique est bonne hôtesse !!

RB 23/1/18