Atelier d’écriture

 
Vendredi  10 Avril 2020
Comment se passe un « atelier d’écriture » à la « Société de Lecture de Lyon »
  1. Florentine, « notre maîtresse à tous » nous donne une ou plusieurs consignes d’écriture.
  2. Ci-dessous les trois consignes au choix.
  3. On a une heure et demie pour composer un texte en suivant, (si l’on veut), la consigne.
  4. (À cause du confinement) on rend la copie par mail.
  5. Florentine renvoie les textes avec suggestion de corrections.
  6. On lit à tous (zoom aidant) et tour à tour, chacun son texte.
  7. Chacun intervient s’il le désire sur le texte qui vient d’être lu.
  8. Chacun renvoie le texte qu’il a corrigé selon ses propres choix.
  9. L’héroïque animateur (moi-même) collecte, rassemble et édite les textes.
  10. Si vous voulez jouer avec nous, bienvenue, envoyez-moi votre texte, nous le traiterons.
    Georges.brun289@orange.fr

PREMIERE PROPOSITION : écrire à partir d’une image
La salle de bain, 2011, Installation de Frédérique Bertrand, photographie Matthieu Rousseau

DEUXIEME PROPOSITION : Jean-Philippe Toussaint, La Salle de bain, éditions de Minuit
Présentation sur le site des éditions de Minuit :
Une baignoire des plus classiques. Quelqu’un allongé à bord, parfois habillé d’une manière très simple, parfois tout succinctement vêtu, méditant tranquillement, les yeux fermés, avec le sentiment de pertinence miraculeuse que procure la pensée qu’il n’est nul besoin d’exprimer. Lorsque ce dernier, pour quelle raison ? – obscure raison –, commença à passer ses après-midi dans la salle de bain, il ne comptait pas s’y installer.
Commençant dans l’immobilité d’une salle de bain et se terminant de façon à peu près identique ce roman fait évoluer le héros et Edmonsson de Paris à Venise et de Venise à Paris au rythme d’aventures peu courantes et selon la structure que Jean-Philippe Toussaint appelle celle du triangle rectangle.
“ Je ne sais si par rapport à la structure du cercle, celle du triangle rectangle apporte réellement quelque chose de neuf. À mon avis rien de très. Sauf que cela détourne absolument de la structure du cercle, à laquelle je ne tiens pas à cause du sempiternel éternel retour. L’éternité c’est long disait Woody Allen, surtout à la fin. ”
L’humour qui sous-tend ce roman ne devrait pas être la seule raison qu’on aurait de l’aimer. Si le héros par son allure comme par sa situation n’est pas sans rappeler les personnages beckettiens et s’il a des points communs avec la course folle de Loujine dans l’ouvrage de Nabokov, Jean-Philippe Toussaint par son écriture ouvre à un monde nouveau qui viendrait parfois en contrepoint des déambulations de Georges Chave dans Cherokee.

EXTRAIT :
1) Lorsque j’ai commencé à passer mes après-midi dans la salle de bain, je ne comptais pas m’y installer ; non, je coulais là des heures agréables, méditant dans la baignoire, parfois habillé, tantôt nu. Edmondsson, qui se plaisait à mon chevet, me trouvait plus serein ; il m’arrivait de plaisanter, nous riions. Je parlais avec de grands gestes, estimant que les baignoires les plus pratiques étaient celles à bords parallèles, avec dossier incliné, et un fond droit qui dispense l’usager de l’emploi du butoir cale-pieds.
2) Edmondsson pensait qu’il y avait quelque chose de desséchant dans mon refus de quitter la salle de bain, mais cela ne l’empêchait pas de me faciliter la vie, subvenant aux besoins du foyer en travaillant à mi-temps dans une galerie d’art.
3) Autour de moi se trouvaient des placards, des porte-serviettes, un bidet. Le lavabo était blanc ; une tablette le surplombait, sur laquelle reposaient brosses à dents et rasoirs. Le mur qui me faisait face, parsemé de grumeaux, présentait des craquelures ; des cratères çà et là trouaient la peinture terne. Une fissure semblait gagner du terrain. Pendant des heures, je guettais ses extrémités, essayant vainement de surprendre un progrès. Parfois, je tentais d’autres expériences. Je surveillais la surface de mon visage dans un miroir de poche et, parallèlement, les déplacements de l’aiguille de ma montre. Mais mon visage ne laissait rien paraître. Jamais.
4) Un matin, j’ai arraché la corde à linge. J’ai vidé tous les placards, débarrassé les étagères. Ayant entassé les produits de toilette dans un grand sac-poubelle, j’ai commencé à déménager une partie de ma bibliothèque. Lorsque Edmondsson rentra, je l’accueillis un livre à la main, allongé, les pieds croisés sur le robinet.
5) Edmondsson a fini par avertir mes parents.
6) Maman m’apporta des gâteaux. Assise sur le bidet, le carton grand ouvert posé entre ses jambes, elle disposait les pâtisseries dans une assiette à soupe. Je la trouvais soucieuse, depuis son arrivée elle évitait mes regards. Elle releva la tête avec une lasse tristesse, voulut dire quelque chose, mais se tut, choisissant un éclair dans lequel elle croqua. Tu devrais te distraire, me dit-elle, faire du sport, je ne sais pas moi. Elle s’essuya le coin des lèvres avec son gant. Je répondis que le besoin de divertissement me paraissait suspect. Lorsque, en souriant presque, j’ajoutai que je ne craignais rien moins que les diversions, elle vit bien que l’on ne pouvait pas discuter avec moi et, machinalement, me tendit un mille-feuilles.
(…)
10) Assis sur le rebord de la baignoire, j’expliquais à Edmondsson qu’il n’était peut-être pas très sain, à vingt-sept ans, bientôt vingt-neuf, de vivre plus ou moins reclus dans une baignoire. Je devais prendre un risque, disais-je les yeux baissés, en caressant l’émail de la baignoire, le risque de compromettre la quiétude de ma vie abstraite pour. Je ne terminai pas ma phrase.
11) Le lendemain, je sortis de la salle de bain.

TROISIÈME PROPOSITION :
Mes chambres
Dortoirs et chambrées
Chambres amies
Chambres d’amis
Couchages de fortune (divan, moquette + coussins, tapis, chaise longue, etc.)
Maisons de campagne
Villas de location
Chambres d’hôtel : a, hôtels miteux, garnis, meublés ; b, palaces.
Conditions inhabituelles : nuits en train, en avion, en voiture ; nuits sur un bateau ; nuits de garde ; nuits au poste de police ; nuits sous la tente ; nuits d’hôpital ; nuits blanches, etc.
Dans un petit nombre de ces chambres, j’ai passé plusieurs mois, plusieurs années ; dans la plupart, je n’ai passé que quelques jours ou quelques heures ; il est peut-être téméraire de ma part de prétendre que je saurai me souvenir de chacune : quel était le motif du papier peint de cette chambre de l’Hôtel du Lion d’Or, à Saint-Chély d’Apcher (le nom — beaucoup plus surprenant quand il est énoncé que quand il est écrit — de ce chef-lieu de canton de la Lozère) ? … Mais c’est évidemment des souvenirs resurgis de ces chambres éphémères que j’attends les plus grandes révélations.

Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1974.

Il y avait du linoléum sur le sol. Il n’y avait ni table, ni fauteuil, mais peut-être une chaise sur le mur de gauche : j’y jetais mes vêtements avant de me coucher ; je ne pense pas m’y être assis : je ne venais dans cette chambre que pour dormir. Elle était au troisième étage de la maison, je devais faire attention en montant les escaliers quand je rentrais tard pour ne pas réveiller la logeuse et sa famille.

Comme un mot ramené d’un rêve restitue, à peine écrit, tout un souvenir de ce rêve, ici, le seul fait de savoir (sans presque même avoir eu besoin de le chercher, simplement en s’étant étendu quelques instants et ayant fermé les yeux) que le mur était à ma droite, la porte à côté de moi à gauche (en levant le bras, je pouvais toucher la poignée), la fenêtre en face, fait surgir, instantanément et pêle-mêle, un flot de détails dont la vivacité me laisse pantois…
Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1974.

 

Les Textes d’origine ; les corrections possibles en rouge

PATRICK
Les + : l’humour, l’ambiance, Boboss et Bec de corbeau (qu’on aimerait encore plus décrit peut-être). Bien la tension en entrant dans la sale de bain avec les vêtements au sol.
La chute excellente.
Les points à améliorer en rouge dans le texte.

Enfermement

Ils m’ont enfermé.
Ils m’ont dit : « suis les lignes jaunes et fais bien attention de ne pas en sortir, si tu as le malheur de poser un pied dehors tu t’en mordras les doigts ».
J’ai suivi les lignes jaunes depuis la porte d’entrée. J’étais mort de peur.
Le gros costaud barbu qui a l’air vraiment méchant m’a poussé pour me faire avancer plus vite. L’autre, le petit bronzé avec le nez en bec de corbeau, m’a regardé avec un sourire en coin :
 « fais comme Boboss te dit » menaçant il sort à moitié de sa poche la crosse un revolver (bizarre le passage au présent… il a sorti ? ou peut-être : tâtant la crosse d’un révolver à moitié sorti sa poche).
Les lignes jaunes étaient tracées sur les carreaux du couloir et continuaient après la porte de la petite pièce (un peu paumé avec la petite pièce ? préciser ?) . Je suis entré. Bec de corbeau a claqué la porte ; j’ai entendu la serrure grincer. Boboss m’a crié :
 « Déshabille-toi et reste tranquille. Tu peux hurler tant que tu veux, personne ne t’entendra ».
Je m’affale sur le sol (rester au passé composé ? me suis affalé ?). C’est quoi cette pièce ? Une baignoire dans un coin et rien d’autre. Des murs nus, complètement nus. Seul deux petits tableaux pendus, anachroniques, des portraits. De l’eau croupissante au fond de la baignoire. Une impression de maison abandonnée.
« A poil et vite » me lance Bec de corbeau à travers la cloison.
Je ne me sens pas vraiment de quitter mes habits. (à enlever ? faire sentir qu’il n’a pas envie de quitter ses vêtements plutôt que le dire ? tu le fais sentir avec la phrase suivante. Pour moi c’est suffisant).  Il ne fait pas trop chaud et la pièce me parait hostile. Je tremble de froid … ou de peur. Il y a déjà un tas de vêtement au pied de la baignoire. D’où viennent-ils ?
Après de longues heures, rien ne se passe. Pas de bruits, le silence intégral. J’essaye de comprendre pourquoi je suis là. Cela tourne indéfiniment dans ma tête. Il faut que je me reprenne.
Je sens dans la poche de mon blouson le morceau de fusain que j’utilise pour faire les ébauches de mes projets d’architecte d’intérieur (peut-être enlever intérieur… peut-être même architecte…).
Je vais transformer ce local en salle de bain.  (à enlever ? effet d’annonce ? ) Je dessine sur la paroi de gauche un lavabo et son miroir, une corbeille et un flacon de shampoing.
Je continue mon dessein sur le mur. Petit à petit, je reprends confiance en moi.
Je me rappelle maintenant l’esquisse que j’avais proposé à mes derniers clients Mireille et Luc Maubert pour leur villa de Tourette ; Je complète en mettant trois étagères de verre où sont rangés brosses à dent, flacon de parfum, trousses à maquillage …
Je me sens beaucoup mieux. Le local est plus familier. Ce petit travail rapide me remet dans mon métier. (inverser et mettre je me sens beaucoup mieux à la fin : Ce petit travail rapide me remet dans mon métier. Le local est plus familier. Je me sens beaucoup mieux.)
Je poursuis par des exercices de respiration : inspirer profondément par le nez ; 3 secondes ; expirer par la bouche.
Je suis enfermé, OK. Je vais dessiner une porte de sortie sur le mur du fond. J’ai les bonnes dimensions dans l’œil. J’en ai dessiné tellement. Cela me prend moins de deux minutes.
Mon morceau de fusain a rendu l’âme.
La porte s’ouvre tout d’un coup. Bobosse et Bec de corbeau entrent.
« Premier Avril hurlent-ils en arrachant leur masque »
Les cons finis.

GEORGES :
Les + : Le style, les phrases comme des rouleaux (vagues), le rythme.
Très beau paragraphe sur le personnage qui prend vie, jusqu’à la fin du texte.
Les points à améliorer en rouge dans le texte.

Livres

Lorsqu’on pénètre dans la pièce, à droite, tout le mur est une bibliothèque, cinq mètres de long peut-être, deux mètres cinquante de haut : des livres sagement cote à cote ; pas de reliures précieuses, pas d’ouvrages de collection, ou autre trésor, du tout-venant, une longue travée de plusieurs étages de livres parfaitement alignés.
Incrusté au milieu du  mur de livres, son espace pour écrire, sa niche (niche fait un peu chien, non ? Peut-être : niché au milieu du mur de livres, son espace pour écrire. Autre argument : répétition de « inscrustré » et 4 lignes plus bas « incrustation ») ; débarrassée des ouvrages jusqu’à hauteur d’homme, le plateau déborde largement ; son ordinateur posé dessus… il aime bien le symbole, son incrustation physique dans les livres.
Écrire face au mur, c’est aussi la bonne image, on n’écrit rien de bon, dos au mur ?
Lorsqu’il lève le nez, le regard plonge dans le poster (l’affiche ?), « son Van Gogh », « champ de blé avant l’orage », un ciel panoramique de coups de pinceau bleus sombres, marbré de nuages étirés presque blancs, un premier plan de champs verts clairs, et au centre, des taches rouges, des coquelicots suppose-t-il ; au tout début, il aimait imaginer du sang, les traces d’un quelconque massacre… mais c’était aller au-delà de l’imaginaire de l’artiste …
Faisant face, de l’autre côté de la pièce (enlever « de la pièce » ici pour pouvoir le mettre dessous), une autre paroi entière de livres.
Au milieu (de la pièce ?), un fauteuil à haut dossier ; on imagine bien que lire dans ce fauteuil est impossible : quel livre choisir ? Finalement vous vous posez dans le fauteuil… À peine assis … cela ressemble à… où ai-je lu ça ? Le mur de livres vous nargue et vous projette hors du siège.
Ce matin, il est installé devant l’écran ; on voit l’empreinte blanche de sa page… quelques lignes seulement. 
Il s’est réveillé en sursaut, il avait une fameuse idée, la nuit son personnage est arrivé complet avec un ton ; il sait … si on veut créer un caractère,  si on veut capter l’attention du lecteur, il faut trouver un ton pour son héros. Le ton de cette nuit est triste, d’où une barre sur le front, mais, maintenant, son héros vit sous ses doigts , il le reconnait , le prévoit, bientôt ce ne sera plus le sien, mais celui de la page écrite qu’il va livrer, qui va le délivrer ; il a relâché son personnage, dans cette esquisse de jubilation que l’on lit sur ses lèvres, il y a et le plaisir du créateur et la retenue de l’homme d’expérience ; ce n’est pas tout à fait un personnage; il est encore faible et risque de vaciller à toute défaillance de l’intrigue ; mais déjà il l’aime ce petit homme, né de caractères noirs sur écran blanc, il va l’emmener loin dans son imagination, il est son espoir de survie dans l’océan des écrits … 
Oui, il écrit parce que c’est peu de chose … une fois le livre bien rangé à sa place, toute petite, parmi tous les autres … il sera enfin guéri de cette longue maladie qui change le monde en mots, les maux en mots , et les bonheurs aussi…
GB le 10/4/2020

ROBERT
Les + : très bonne idée, texte plein d’invention et de créativité.
Bien le rêve.
Les points à améliorer en rouge dans le texte.

La baignoire

Onésim, célibataire convaincu, à la suite de ses premiers pas amoureux qui avaient viré au fiasco, avait décidé de se plonger dans les études. Et il avait réussi au-delà des espérances familiales ; il était sorti Premier de Polytechnique avait enchainé par l’ENA. La vie s’était présentée ensuite comme un chapelet de promotions dont il n’avait même pas cherché à accélérer le cours.
Cette période de confinement, liée à ce virus sournois, il l’avait vécue avec délectation. Enfin seul, il venait juste de prendre sa retraite et n’avait même plus à faire acte de présence à son bureau de Haut Commissaire aux Comptes.
Le matin, en pyjama, après un petit déjeuner copieux sur la terrasse, il passait dans la salle de bain voisine avec le ciel comme seul témoin. Divin ! Pensait-il en lui-même. La baignoire était là, son amie d’enfance (amie est peut-être un peu fort, un peu trop personnifiée), toujours fidèle, un rayon de soleil animait comme une fontaine lumineuse le jet de la douchette, et il se plongeait avec délectation dans le bain frémissant. (belle image la fontaine lumineuse)
J’ai oublié de mentionner le fait, (virgule pas nécessaire) qu’Onésim, en dehors de ses taches administratives qui l’ennuyaient prodigieusement, avait une âme d’aventurier doublée de celle d’inventeur.
Une fois dans son bain, ce matin -là, il se remémora son illustre ancêtre de l’Université de Syracuse «  Tout corps plongé dans l’eau… » – Moi aussi j’ai des idées et de plus j’ai parcouru beaucoup de pays inconnus des Grecs, (mettre un point ici ?) en plus, j’ai à ma disposition tout le savoir accumulé au long des millénaires. Il faut que je marque mon époque –
Sur ces profondes pensées il s’endormit dans son bain. Il fit un rêve étrange ; Il était toujours dans sa baignoire, mais ne pouvait pas en sortir, il avait l’impression que c’était celle-ci qui prenait les décisions sur les destinations, il parcourait ainsi des forêts enchantées avec des mousses enrobant les arbres, il traversait des rivières, des lacs, et la baignoire se transformait en barque, à un moment il eut l’impression qu’il planait au-dessus du sol avec des ailes qui s’étaient déployées… C’était terrifiant et en même temps presque divin. Il ne s’en lassait pas.
Le réveil fut brutal, un couple de tourterelles avait fait irruption dans la salle de bain et roucoulait sur le bord de la baignoire. L’eau était devenue froide et il avait la peau des mains fripées.
Sa décision était prise, il allait inventer la baignoire voyageuse qui lui permettrait de se déplacer sur les routes de sa région et qui sait au delà une fois le modèle mis au point. Il avait à sa disposition, dans le hangar accolé à la maison, tout ce qu’il fallait pour réaliser pour construire un prototype. Il avait accumulé dans ce bric à brac tous les Vieux vélos, les bagnoles rouillées, un bateau catamaran désuet, beaucoup de vieilles ferrailles, des poutrelles de la précédente toiture, mais surtout, une vieille baignoire datant d’avant la guerre…Il avait adjacent au hangar un petit atelier où il pourrait couper, cisailler, souder…
Il avait (répétition du verbe avoir, voir phrase ci-dessus…) tout son temps car il ne savait pas quand le confinement allait se dé confiner.
L’après-midi il tourna en rond dans son jardin et il murit son projet.
Le lendemain il avait trouvé «  Euréka » se dit-il à lui-même, ce sera : la baignoire à pédales !
Après, se dit-ilje verrai pour (comment) lui adjoindre une voile pour les cas de vent arrière, peut-être un panneau solaire avec un petit moteur électrique pour les montées…
Et il se mit au travail sans plus tarder. D’abord partir de la baignoire qu’il avait à sa disposition. Celle-ci se révéla trop lourde, en fonte, il ne put la déplacer qu’avec grand peine. Il lui fallait une baignoire plus légère, celle de sa salle de bain, en plastique devrait suffire. Tout commença par un travail de plomberie pour effectuer le transfert. Les roues seraient prises sur les vieux vélos, les chaines également. Il pédalerait couché sur le dos. On ne pouvait pas rêver mieux. Il prit une des voiles du catamaran qu’il attacha du mieux qu’il put.
Pour l’énergie solaire,- On attendra que je puisse me procurer un panneau et un moteur électrique. En attendant je vais mettre le moteur de cette vieille tondeuse à gazon.-
Et c’est ainsi que le jour du dé confinement, très fier, Onésim, traversa la rue du village au volant de sa baignoire à pédales et roulettes au grand ébahissement de la population. Il avait écrit sur la carrosserie en lettres majuscules :

ONESIM I

CHRISTIAN
Les + : Le ton, le personnage, les menus détails qui font toute la saveur de la situation, le registre de langage. La fin très réussie.
Les points à améliorer en rouge dans le texte.

La toilette de Pat Garrett (2ème proposition)

Non, je ne dirais pas que c’était le meilleur moment de la journée, mais quand même, après s’être cogné 24 heures de garde à vue à essayer de faire craquer un (le) suspect, un mari soupçonné d’avoir défenestré sa femme… une façon pour lui de mettre fin au confinement de sa conjointe, une bonne douche allait me remettre les idées en place. (phrase un peu confuse. Proposition : créer une parenthèse avec une question : (…) un mari soupçonné d’avoir défenestré sa femme (façon pour lui de mettre fin au confinement de sa conjointe ?) une bonne douche allait me remettre les idées en place. Je n’étais pas dans mon état normal. Pourquoi ? Ben, (je rajouterais un parce que : Ben, parce que quand au bout de…) quand au bout de quelques heures on a plus envie de balancer des tartes au commis d’office qu’au suspect, c’est que ça tourne plus tout à fait rond.
Je me regardai dans le miroir de la salle de bains. Un regard par en dessous, par crainte ou par lâcheté, il était pas brillant le capitaine Garnier… barbe de trois jours, chemise dans les mêmes eaux, auréoles sous les bras, pellicules sur les épaules et une tache provoquée par le sandwich tomate, œuf mayo avalé en quatrième vitesse une bonne douzaine d’heures auparavant, un trou de brûlure de cigarette au dessus de la ceinture (pour le rythme de la phrase, je finirais sur le sandwitch mayo. Déplacer le trou de brûlure de cigarette ?)
Ouais, pas beau Garnier ! Pas beau Papa aurait dit ma gamine quand elle me voyait revenir de trois nuits de planque dans le sous-marin. Ça remonte à des années, mais même à cette époque j’étais plus fringant.
C’était pas la première fois qu’on avait affaire à un retord, mais la première que je m’étais pas franchement senti à la hauteur. (proposition : mettre un point après retord, puis : Par contre c’était la première fois que je me sentais pas à la hauteur) Ça me faisait bizarre de me retrouver seul devant cette glace. D’habitude, elle me rejoignait, se plaquait contre mon dos, son regard planté dans notre reflet par-dessus mon épaule. Elle m’aidait à me refaire une beauté, mais surtout à me remettre la tête à l’endroit, à toute heure du jour ou de la nuit, comme un service permanent. C’est ce que j’ai cru longtemps, que ça durerait toute la vie. Et puis un jour, elle ne s’est pas levée. Enfin pas pour moi. J’étais en train de me raser, je l’ai entendue aller aux toilettes, tirer la chasse et aller se repieuter. Je l’ai eu mauvaise, j’ai d’abord pensé qu’elle était malade, mais elle ne s’est plus jamais levée.
La salle de bains, c’était le lieu de nos retrouvailles. Je savais qu’elle balisait quand j’étais sur le terrain, surtout quand on allait serrer des braqueurs à 6 heures du mat. Le décès d’un collègue pendant un flag l’avait chavirée. Elle s’était dit que le carrelage de la salle de bains pouvait aussi ressembler à celui de l’Institut médico légal. (peut-être que cette phrase est en trop…) Elle s’était mise à faire des cauchemars… j’étais plus allongé dans la baignoire, où elle me rejoignait parfois, mais sur une table en inox, la moitié du corps recouverte par un drap.
J’essayai de me ressaisir, je jetai un coup d’œil à mon téléphone, 4 heures du mat. J’avais rendez-vous à 9 heures dans le bureau de la Juge d’instruction pour boucler le dossier du défenestreur. Ça laissait peu de temps pour se pomponner. J’ouvris les tiroirs à la recherche d’un rasoir. Je tombai sur un paquet de rasoirs BIC jetables. D’habitude j’utilise des lames Gilette GII. Les BIC n’étaient pas à moi, ni à elle, elle s’épilait les guiboles à la cire chaude. C’était sûrement à son représentant en maroquinerie. Une bombe de déo Azzaro, alors que j’en suis resté au Narta, des échantillons de parfum, Jean-Paul Gautier, Vétiver de Guerlain. Je tenais pas la distance avec mon eau de Cologne Mont Saint-Michel. (si c’est chez eux est-ce que c’est crédible ? peut-être trouver une autre façon de donner les indices…)
Je sais j’aurais dû faire gaffe. Un temps j’ai espéré qu’elle allait s’emmerder avec son VRP, qu’un mec qui vend des parapluies ou des baise-en-ville, elle en aurait vite fait le tour. J’ai cru naïvement qu’elle reviendrait pour mon parfum d’aventures, mais même avant de se barrer elle avait l’air de s’emmerder.
Au début elle a été séduite par mes allures de Rambo, blouson de cuir et Santiags, mais ça c’était au début. Maintenant, avec mon bide, mes cheveux gras et mon cholestérol, je la fait plus rêver dans le miroir.
Tu parles d’un Rambo ! J’ai cru longtemps que serrer des merdeux camés aux amphéts et coincés dans la vitrine d’une pharmacie, au volant d’une voiture bélier ça suffirait à la faire vibrer. Pauvre naze ! J’ai pas eu la chance de tomber sur Mesrine ou Guy Georges. Rien que du menu fretin.
Je fermai les yeux, comptai jusqu’à dix dans ma tête et ben même en les rouvrant d’un coup, elle ne revenait pas. Elle ne reviendrait pas.
Je dégainai mon Glock de son étui à la manière du sheriff Pat Garrett face à Billy le Kid. J’oubliai que j’avais encore les mains pleines de savon, j’échappai mon arme dans le lavabo qui se fissura. J’avais négligé de mettre la sécurité. Le coup partit et le miroir explosa.

ODILE
Les + : bien l’ambiance, les glissements et clin d’œil d’un texte à l’autre – sur les cadenas notamment – bien l’utilisation de tous les sens, odeurs, couleurs, sons…
Je n’ai pas compris la dernière phrase… (c’est sexuel ?)
Très peu de choses à travailler.

Chambres – Inventaire

Enfance
Cette chambre-là, il faut la partager : deux lits une place, identiques, avec des barreaux chantournés à la tête et au pied. Deux Dessus-de-lit assortis à l’une des couleurs de la tapisserie. Des fleurs et des feuilles, du rose et du vert. Deux tables de nuits, identiques, dans le même style que les lits.
Elle a un secrétaire, j’ai un petit bureau. Même style.
– Quel style ? Je n’en sais rien. Un style moche et sombre. L’ensemble est lourd.
Une croix en bois d’olivier à la tête de chaque lit.
J’ai un tiroir à ma table de nuit et deux tiroirs à mon bureau.
Elle a un tiroir à sa table de nuit et six tiroirs à son secrétaire qui ferme à clef. Elle a des secrets dans ses tiroirs fermés.
Dans mes tiroirs, j’ai juste du temps qui passe : une vieille barrette, une carte postale de Cavalaire que je n’ai pas envoyée, des coquillages dans lesquels reste un peu de sucre et beaucoup de poussière collée, des taillures de crayons, un bout de feuille de cahier repliée sur des mots que quelqu’un m’a donné à l’école, un noyau, une queue de cerise…
Dans le tiroir de sa table de nuit, il n’y a rien. Elle enferme tout dans son secrétaire et emporte la clef. Un jour, elle a laissé un papier dans le tiroir de la table de nuit. Elle a écrit en majuscules, « la curiosité est un vilain défaut ».
Je rêve d’être grande et d’avoir des secrets à enfermer dans des tiroirs.

Chambre chez grand-mère.
Une chambre à déguster. Même quand la fenêtre est ouverte, la chambre est imprégnée des parfums de cuisine.  Aux murs de la toile de Jouy beige et or répète à l’infini trois scènes identiques : trois princesses avec des moutons ; deux princesses près d’une rivière regarde un mouton qui boit, une princesse endormie et trois moutons qui broutent. J’ai cherché pendant toutes les siestes de l’été : il n’y avait pas d’autres princesses.
Sur les portes du placard, les couleurs de la toile sont inversées, le fond est or et les princesses sont beiges. La lampe sur la table est cassée.
Le lit est en cuivre astiqué et les 4 boules au sommet des montants sont très brillantes. Le dessus de lit est assorti à la tapisserie.
Des lampes aux murs portent des abat-jours plissés.
Le matin, l’odeur du café. Ensuite, c’est le parfum des  gâteaux : chocolat, citron, amande… chaque jour, un nouveau gâteau ! « Le sucré du dessert ! » dit-elle avec gourmandise. Ensuite, il y a l’heure du  «  sucré du sommeil » je peux emporter un bout de gâteau que je déguste dans la chambre en comptant les princesses et … les moutons !

Internat
Chambre ? Non, dortoir.
Une soixantaine de lits divisés par les armoires et les murs en six box de dix filles. Chaque armoire est fermée par un cadenas. Je porte la clé accrochée à un collier.
Les dessus-de-lit sont en chenille orange. J’ai souvenir de rires, de chahuts, de bavardage, de grignotage, de miettes dans les draps. De larmes aussi.
La pionne arpente les travées en émettant des « chutttt » plus ou moins sonores.
Avec Brigitte, on se prête tout : nos habits, nos bouquins, nos affaires de toilette. Elle a un double de la clé de mon cadenas et j’en ai un du sien.
Confier sa clé : une reconnaissance officielle de l’amitié.

Chambre d’étudiante
Enfin !
Une chambre pour moi toute seule.
Un bureau, des étagères, un placard, un coin douche, un lit une place sous une grande fenêtre. Tout est pour moi et je vis comme je veux, je range si je veux, je fais mon lit si je veux. Je fume et ne vide pas mon cendrier. Je travaille la nuit. Je me lève pour les cours et pas avant. Je suis libre, affranchie.
Dans cette chambre, il n’y a ni tiroirs secrets, ni cadenas. Je n’ai que la clé de ma porte. Une clé pour fermer ma chambre.  Je ferme quand je sors. Je m’enferme quand je rentre.
C’est cette année-là que j’ai ouvert mon lit.

PIERRE
Les + : la description minutieuse de l’environnement du personnage, un peu enigmatique…
Peut-être que ton texte est un peu collé à l’image et qu’il faudrait s’en détacher pour que tous les lecteurs puissent entrer dans l’histoire. Ou alors jouer avec : quelqu’un qui regarde un catalogue ? un album ? Quelqu’un qui pose des questions pour essayer de deviner où on est, qui il est…

Il intègre son foyer. Il vit dans le plus grand dénuement. Il a même quitté ses vêtements dans une grande précipitation. Qu’a-t-il bien pu lui arriver ? Croit-il que plus rien n’est indispensable. Ni l’opulence des nourritures terrestres ; sinon il aurait dessiné une table garnie de victuailles. Ni le besoin inhérent au rythme de vie du règne animal : celui de dormir ; sinon il aurait dessiné un lit ou un matelas pneumatique comme au début de l’air ‘rb n b’. Ni les affres de la connaissance, sinon il aurait dessiné une bibliothèque. (un peu confus ton début…peut-être un peu collé à l’image, c’est pour ça) 
Proposition : Qu’a-t-il bien pu lui arriver ? Croit-il que plus rien n’est indispensable. Ni les nourritures terrestres ; il aurait dessiné une table garnie de victuailles. Ni le rythme de vie du règne animal : sinon il aurait dessiné un lit ou un matelas pneumatique comme au début de l’air ‘rb n b’. Ni les affres de la connaissance : il aurait dessiné une bibliothèque.
Et enlever ces deux phrases ? ou les déplacer à la fin du paragraphe… Il intègre son foyer. Il vit dans le plus grand dénuement. Il a même quitté ses vêtements dans une grande précipitation.
Que lui semble-t-il indispensable aux humains. Peut-être celui de se laver ! (là aussi un peu confus…) L’indispensable pour l’humain ? Se laver ? Seul rempart d’hygiène contre les maladies. D’où une baignoire, seule pièce de mobilier.
Seul l’homo sapiens, se dit-il, montre une telle appétence (intérêt ?) pour la toilette. Seul, peut être, le chat succombe à cette envie par ses coups de langue répétés.
Il a dessiné, non pas le reflet de son imagination mais le plus profond de ses désirs enfouis.
D’abord pourquoi oublier le robinet et le tuyau d’alimentation en eau sur la baignoire.
Quelques détails nous laissent découvrir sa véritable personnalité. Hormis la baignoire, il a planté au mur deux petites miniatures représentant les photos de ses proches. Voilà bien le besoin le plus indispensable : celui de garder le contact avec les membres de son entourage. C’est donc bien un homme social. Impérieuse nécessité de garder la présence des êtres chers, si l’on ne veut pas succomber à un dénuement total.
Pour le reste, il n’a rien laissé au hasard.
D’abord une grande fenêtre. C’est bien là la pulsion la plus absolue. Il faut absolument une ouverture vers l’extérieur, une vue sur le monde. Mais il faut aussi laisser rentrer (entrer ?) la lumière. Voilà encore une exigence primordiale. La lumière lui règle : l’alternance du jour et de la nuit, la tentation de voir. Le regard sur la beauté des choses, l’attirance pour tous les paysages de la nature et les merveilles de la terre.
Un radiateur, sous la fenêtre. On est attaché à son confort, car il rentrera dans cette salle de bain, le plus souvent dans le plus simple appareil. Il faudra bien supporter les frimas. On n’est pas des inuits, tout de même.
Viennent ensuite compléter l’inventaire sur le mur d’en face, tous les accessoires bien au delà de simples ornements. Il est manifestement plus attentif au côté pratique des choses plutôt qu’à leur esthétique.
Un lavabo, toujours pour l’hygiène. Un miroir. Quelle tête va-t-il laisser voir aux yeux du monde. Sera-t-il cet homme respectable qu’il veut montrer sous son meilleur jour au reste de la société. (je simplifierais : un homme respectable ?) Des dents bien propres ? Oui le verre est là sur le coin du lavabo avec sa brosse à dents.
Il ne s’est pas encombré des normes d’installation puisque la prise électrique est manifestement posée trop près du point d’eau. Il n’est donc pas architecte comme Robert.
Une corbeille pour se débarrasser de ses mouchoirs, cotons et autre coton-tige.
L’étagère tenue par une équerre contient tous les petits plaisirs du matin : crème à raser, fioles de parfum ou d’autres babioles bien inutiles.
Une Grande place est accordée à la double corbeille à linge sale. Il ne se change pas seulement une fois par semaine.
Sous le lavabo, le précieux bidon de crème à récurer contenant certainement un peu d’eau de javel lui servira à détruire tous les miasmes qui n’auraient jamais dû rentrer dans cette salle de bain. Comme le monde est plein de risques !
Enfin une petite malle en osier représente tout ce qu’il a pu oublier. C’est le côté secret de ce personnage réticent à nous laisser découvrir le tréfonds de sa personnalité.

JEANINE
Les + : bien l’atmosphère. Super l’idée de mettre au jour des traces, des prénoms, des mots. Bien de faire du personnage détenue un témoin .
A retravailler : peut-être préciser un peu le contexte, comment elle s’est retrouvée là ? A quelle époque sommes-nous ?

La cellule

Voyage (Exil ?) en Guyane, ciel bleu mer argentée me voici sur les îles du Salut.
Au milieu des palmiers et de la végétation de l’ile Saint Joseph, qui envahit, mange, grignote à petites respirations les cellules des bagnards, je suis recroquevillée dans l’une d’elle, je m’y suis blottie, discrètement, silencieusement. (La proximité de au milieu et recroquevillée n’est pas très clair pour le lecteur. Suggestion : La végétation de l’ile Saint Joseph envahit, mange, grignote à petites respirations les cellules des bagnards. Je suis recroquevillée dans l’une d’elle. Je m’y suis blottie, discrètement, silencieusement. Dissimulée (ée ?) au milieu de la végétation mon espace est invisible (hors de vue ?) des touristes, en mal de sensations, parcourant l’île.
Un mètre sur un mètre cinquante. Je peux presque m’allonger. Chaque jour je gratte un peu de mousse. Cette (L’herbe ?) herbe courte et douce tombe au sol et découvre les murs. Les parois vont petit à petit retrouver leur couleur originelle.  Les bagnards, restés là des mois, des années ont imprégné les murs de leur sueur, de leurs souffrances. Ils ont laissé, gravé dans le béton, leurs mots d’amour, leurs désirs de sexe et d’évasion. Ils y ont écrit toute leur solitude. (On lit toute leur solitude)
Aujourd’hui j’ai mis au jour un cœur et un prénom à peine lisible, Anne ? Aude ? Alice ? Peu importe, je pense à elle, je pense à eux partis pour un autre monde.  Je gratte, jusqu’à l’usure de mes ongles.  Une corde, il aurait sans doute voulu se pendre plutôt que de continuer cette vie ? (un peu confus la corde) Seulement pas de corde.  Une date, 21 mars 1940. Date d’arrivée ou date de départ ?  Savait-il que la guerre faisait rage en France ? 
Je suis assise, dans l’angle, face à la porte qui n’existe plus. Une énorme racine en cache en partie l’entrée. Un rayon de soleil se faufile entre le feuillage, vient me saluer chaque matin. J’ai de l’eau douce grâce aux averses fréquentes. Un saïmiri me rend visite plusieurs fois par jour. Est-ce toujours le même ? Je lui fais conversation. Il me regarde, renifle autour de moi dans l’espoir d’un peu de nourriture et s’en va vif comme l’éclair me balayant le visage de sa longue queue. Mes repas comme les siens sont constitués de noix de coco. Elles tombent à mes pieds.
Je gratte toujours. Bientôt les murs seront à nus. D’autres prénoms apparaissent. Chacun a voulu laisser une trace de son passage. Jean, Alfred, Antoine… Des noms d’hommes. Les nombreuses femmes envoyées ici, pour des vols de rien, ont été employées comme ménagères pour les responsables, les gardiens et pour assouvir les désirs des hommes.
J’entends leurs cris de désespoir la nuit lorsque je suis allongée à même le sol. Je les sens flotter autour de moi, comme s’ils voulaient me raconter leur histoire. Je saisis des mots. Dans le shaker de ma tête ils se mélangent. Comment faire des phrases, à qui les attribuer ? A Jean ? A Alfred ? Je tourne et retourne, je rêve, leur parle tout haut qu’ils m’entendent mieux. Peine perdue. Chaque nuit, naissent de nouveaux mots à assembler, au mieux.
Ramassée sur moi-même, les genoux enserrés par mes bras, je deviens détenue, je n’ai qu’une écharpe autour du corps, j’attends le coup de fouet du gardien. Les coups marbrent ma peau. Ma chair saigne. Mes voisins hurlent de douleurs.  Crient leur tourment. Frappent les murs de leurs poings. Secoue la grille qui leur bloque la liberté. Je deviens folle, je me bouche les oreilles, je crie, je hurle pour sortir. Je veux atteindre la mer. Je suis devenue détenue.
Mes doigts sont usés jusqu’au sang. Il n’y a plus de mousse sur les murs. Adossée contre le béton, je frissonne et je m’écroule.
Demain, demain la liberté !

 

TEXTES REMANIES

Livres

Lorsqu’on pénètre dans la pièce, à droite, tout le mur est une bibliothèque, cinq mètres de long peut-être, deux mètres cinquante de haut : des livres sagement cote à cote ; pas de reliures précieuses, pas d’ouvrages de collection, ou autre trésor, du tout-venant, une longue travée de plusieurs étages de livres parfaitement alignés sur le bord des étagères.
Encastré au milieu du  mur, son espace pour écrire ; débarrassé des ouvrages jusqu’à hauteur d’homme, il a plaqué au mur son Van Gogh « champ de blé avant l’orage » ; l’ordinateur posé sur un plateau, sa table, elle déborde  largement, il aime bien le symbole, son incrustation physique dans les livres.
Il écrit face au mur, c’est aussi la bonne image. Dos au mur on n’écrit rien de bon !
En manque d’inspiration, s’il lève le nez, le regard plonge dans un ciel géant de coups de pinceau bleus sombres, marbré de nuages étirés presque blancs, le premier plan de champs verts clairs, et au centre, vers le bas, des taches rouges, des coquelicots; il aurait aimé y voir du sang, les traces d’un quelconque massacre…mais c’était aller au-delà de l’imaginaire de l’artiste.
Faisant face, de l’autre côté, une autre paroi entière de livres.
Des livres rangée verticalement, sagement,  par ordre alphabétique ; l’alignement est détruit par les niches des favoris : Faulkner, Virginia Woolf, Flaubert, à chacun sa pile de livres placés horizontalement, aussi une niche pour Houellebecq, Philip Roth, Céline ; la plus imposante, bien sûr, la niche Proust : toute « la Recherche » avec préface de Compagnon, et l’imposante biographie de Tadié, un livre de Wallace Fowlie, un proustien britannique et, le plus encombrant, Proust en BD qu’il est obligé de ranger à l’horizontal !
Au milieu de la pièce un fauteuil à haut dossier; on imagine bien que lire dans ce fauteuil est entreprise impossible : quel livre choisir ? Un long temps à scruter les ouvrages alignés, la tête inclinée. Enfin on se pose dans le fauteuil… À peine assis …quelques pages tournées… cela ressemble à… où ai-je lu  ça? Le mur de livres vous nargue, la curiosité vous projettera hors du siège.
Ce matin, il est installé devant l’écran, et l’on voit l’empreinte blanche de la page… quelques lignes complétées seulement.
Il s’est réveillé en sursaut, il avait une fameuse idée, la nuit son personnage est arrivé complet avec un ton ; il sait … si on veut créer un caractère,  si on veut capter l’attention du lecteur, il faut trouver un ton pour son héros. Le ton de cette nuit est triste, on aperçoit une barre sur le front ; maintenant, le héros vit sous ses doigts , il le reconnait , le prévoit, il l’aime déjà, et bientôt ce ne sera plus le sien, mais celui de la page écrite qu’il va livrer, qui va le délivrer ; il a relâché sa créature, dans cette esquisse de jubilation que l’on entrevoit sur ses lèvres, il y a et le plaisir de l’auteur et la retenue de l’homme d’expérience ; ce n’est pas tout à fait un personnage… il est encore faible et risque de vaciller à toute défaillance de l’intrigue … mais déjà il l’aime ce petit homme… né de caractères noirs sur écran blanc… il va l’emmener loin dans son imagination …il est son espoir de survie dans l’océan des écrits … 
Oui, il écrit parce que c’est peu de chose … une fois le livre bien rangé à sa place, toute petite, parmi tous les autres … il sera enfin guéri de cette longue maladie qui change le monde en mots, les maux en mots , et les bonheurs aussi…

GB le 12/4/2020

Bal parquet

Personnellement, j’ai jamais été un adepte des boîtes de nuits. Peut-être parce que je suis un piètre danseur et que me trémousser sur la piste m’a toujours fait horreur. Se tortiller dans tous les sens en mouvements désordonnés pour séduire les filles, très peu pour moi. Quand j’étais jeune, dans les années 60, mes potes n’attendaient qu’une chose, le bal parquet du samedi soir. Leur grand plaisir, se mettre chiffon et finir la soirée, ou la nuit, n’importe où dans les bras de n’importe qui. On passait ensuite notre dimanche et une partie de la semaine à se raconter nos exploits :
Waouh, Jojo t’en tenais une bonne l’autre soir, t’as pu faire quelque chose avec la Maguy ?
Quelle Maguy ? répondit le Jojo en question, un petit rondouillard au cheveu toujours gras, qui louchait
Ben celle que t’as embarquée dans l’Aronde de ton vieux !
Ah, bon, elle s’appelait Maguy ?
Tu déconnes, là ?
Ben non, j’m’en souviens pas. J’me suis réveillé sur le bas-côté, juste avant Digoin, j’m’étais vomi dessus et elle s’était tirée.
Tu parles ! Faut dire que le Jojo, il était assez coutumier du fait. Heureusement que les éthylotests n’existaient pas à l’époque, il aurait explosé les compteurs.
Le nombre de fois où le Jojo a pu aller au bout de son affaire, j’ pourrais les compter sur les doigts de ma main, avait l’habitude de commenter Roger, menuisier de son état qui s’était fait raboter trois doigts par une dégauchisseuse
Ils m’appelaient Docteur, non pas à cause de mes compétences en médecine, mais parce que j’étais le seul de notre bande à avoir le Bac. Ils m’aimaient bien.
J’avais à peine 20 ans et je sortais d’une déception amoureuse avec Lucette. C’était la fille du tabac-journaux de Molinet, une blondinette au sourire d’ange et à la croupe arrogante. Elle avait aussi son bac, et qui s’était faite emballer par un marocain qui bossait comme cantonnier au canal.
Mes potes en avaient été très affectés. Ils avaient même projeté une expédition punitive, qui aurait tourné au drame sans un coup de téléphone anonyme que je passai aux gendarmes.
On te laissera pas tomber, toubib, avaient-ils juré.
Promesse d’ivrognes.
Ouais, samedi, y a René Grelot et son orchestre, a lancé Marcel, pas futé pour deux ronds, mais joueur de pétanque hors pair. Il paraît qu’ils ont installé une boule à facettes. Ça va guincher d’enfer. J’suis sûr qu’y aura de quoi emballer. J’peux inviter ma cousine Jocelyne, tu verras y a vraiment rien à jeter.
Le problème c’est que j’ai jamais pu leur refuser quoi que ce soit.
La Jocelyne était une espèce de grande saucisse, pas farouche d’après son cousin, et qui bossait dans un routier à la Motte Saint-Jean. Elle finissait pas avant 23 heures et avait promis de nous rejoindre au bal parquet après son service. Ce soir-là, la bière avait coulé à flots.
Je m’étais promis de rester lucide, mais vous savez ce que c’est, pris dans l’ambiance, avec un René Grelot au sommet de son art pour chauffer la salle…
J’étais chaud bouillant et j’attendais la Jocelyne de pied ferme. Ils avaient mis les lumières tamisées et la boule à facettes éclairait nos tronches de poivrots, comme autant de clins d’œil. On avait un peu de mal à se distinguer entre nous à cause de l’atmosphère enfumée.
Ma cavalière débarqua sur le coup de minuit. Pas si mal la Jocelyne. Je dirais même, gaulée comme un avion de chasse. Je ne sais pas si c’est l’alcool, où les montées chromatiques du René Grelot, mais ce soir-là, je me découvris des talents de danseurs insoupçonnés. J’enchainais tangos, paso-doble, letkiss et madisons, comme un professionnel, même que la Jocelyne refusa toutes les propositions des autres danseurs. Vint le moment tant attendu des slows.
C’est vrai qu’elle était pas farouche, la donzelle. J’étais comme un fou. Je ne contrôlais plus mes mains. Comme elle faisait au moins une tête de plus que moi, j’avais le nez entre ses seins parfumés, tandis que son bassin ondulait tel un reptile prêt à s’entortiller autour de sa proie. Je ne contrôlais plus ma bouche.
Elle me susurrait des paroles d’encouragement au creux de l’oreille ; j’comprenais que dalle à cause de la guitare électrique, dont les effets sonores, amplifiés par la pédale wah-wah, ajoutaient à la sensualité de l’instant. D’habitude, j’étais plutôt du genre à faire tapisserie, mais ce soir-là, j’aurais pu danser jusqu’au bout de la nuit, si la Jocelyne n’avait pas mis fin aux festivités, prétextant sur le coup des 3 heures du matin, qu’elle devait se lever tôt pour servir les petits déj’s à ses routiers. Je dus la faire répéter plusieurs fois à cause de la musique et des hurlements des danseurs.
J’avais eu le temps de dessaouler un peu et je rendis les armes à regret, lui arrachant la promesse qu’on se retrouverait l’après-midi-même sur le parking des camions.
Je passai les heures qui me séparaient de nos retrouvailles à m’imaginer entre ses bras. J’avais encore dans les narines, l’odeur de ses seins et, les sens affutés, je me promis d’aller beaucoup plus loin dans la découverte du corps de Jocelyne. Je ne conservais de son visage que ce que la boule à facettes avait consenti à m’offrir et je me disais que si le reste était à l’image de sa poitrine, Lucette, la fille du tabac-journaux de Molinet, sortirait définitivement de ma mémoire.
Je me voyais déambulant dans les rues de Digoin au bras de ma belle, tout le monde se retournant devant ce couple merveilleux. J’enclenchai le compte à rebours, rasé de frais, le cœur battant et l’haleine parfumée aux pastilles Valda, afin d’effacer les relents de bière persistants. A midi je refusai d’avaler le chou farci que ma mère avait préparé, prétextant une légère indisposition, craignant surtout de ne pouvoir en maitriser les effets secondaires.
15 heures venaient de sonner à l’église de La Motte Saint-Jean, lorsque je déboulai à bicyclette sur le parking quasiment désert du routier. Elle devait avoir fini son service. Le soleil inondait la façade du restaurant. Elle sortit comme une illumination et s’approcha de moi d’une  démarche chaloupée. Moins de dix mètres nous séparaient. Elle afficha ce qui pouvait ressembler à un sourire.
Falut, fa va ? Efcuve-moi mais v’avais du boulot… tu fais fe que f’est dans les reftos… lança-t-elle d’une voix nasillarde.
Soudain, je maudis l’orchestre de René Grelot, les litres de bière et l’atmosphère enfumée du bal parquet.

CR 14/4/2020

La baignoire

Onésime, célibataire convaincu, à la suite de ses premiers pas amoureux qui avaient viré au fiasco, avait décidé de se plonger dans les études. Et il avait réussi au-delà des espérances familiales ; il était sorti Premier de Polytechnique, avait enchainé par l’ENA… La vie s’était présentée ensuite comme un chapelet de promotions dont il n’avait même pas cherché à accélérer le cours.
Cette période de confinement, liée à un virus sournois, il la vivait avec délectation. Enfin seul, il venait juste de prendre sa retraite et n’avait même plus à faire acte de présence à l’Inspection des Finances.
Le matin, en pyjama, après un petit déjeuner copieux sur la terrasse, il passait dans la salle de bain voisine avec le ciel comme seul témoin. Divin ! Pensait-il en lui-même. La baignoire était là, son amie d’enfance, elle toujours fidèle, un rayon de soleil animait comme une fontaine lumineuse le jet de la douchette, et il se plongeait avec délectation dans le bain frémissant.
J’ai oublié de mentionner le fait qu’Onésime, en dehors de ses taches administratives qui l’avaient prodigieusement ennuyé, avait une âme d’aventurier doublée de celle d’inventeur.
Une fois dans son bain, ce matin -là, il se remémora son illustre ancêtre de l’Université de Syracuse «  Tout corps plongé dans l’eau… » – Moi aussi j’ai des idées et de plus j’ai parcouru beaucoup de pays inconnues des Grecs. En outre, j’ai à ma disposition tout le savoir accumulé au long des millénaires. Il faut que je marque mon époque –
Sur ces profondes pensées il s’endormit dans son bain. Il fit un rêve étrange ; Il était toujours dans sa baignoire, mais ne pouvait pas en sortir, il avait l’impression que c’était celle-ci qui prenait les décisions sur les destinations, il parcourait ainsi des forêts enchantées avec des mousses enrobant les arbres, il traversait des rivières, des lacs, et la baignoire se transformait en barque, à un moment il eut l’impression qu’il planait au-dessus du sol avec des ailes qui s’étaient déployées… C’était terrifiant et en même temps presque divin. Il ne s’en lassait pas.
Le réveil fut brutal, un couple de tourterelles avait fait irruption dans la salle de bain et roucoulait sur le bord de la baignoire. L’eau était devenue froide et il avait la peau des mains fripée.
Sa décision était prise, il allait inventer « la baignoire voyageuse » qui lui permettrait de se déplacer sur les routes de sa région et qui sait au delà une fois le modèle mis au point. Il avait à sa disposition, dans le hangar accolé à la maison, tout ce qu’il fallait pour construire un prototype. Il avait accumulé dans ce bric à brac tous les : vieux vélos, bagnoles rouillées, bateau dériver désuet, beaucoup de vieilles ferrailles, des poutrelles de la précédente toiture, mais surtout la vieille baignoire de sa jeunesse datant d’avant la guerre…Il avait adjacent au hangar un petit atelier où il pourrait percer, couper, cisailler, souder, assembler…
Il disposait de tout son temps car il ne savait pas quand le confinement allait se dé confiner.
L’après-midi il tourna en rond dans son jardin et il murit son projet.
Le lendemain «  Euréka » se dit-il à lui-même, ce sera la baignoire à pédales ! Après, se dit-il,  je verrai comment lui adjoindre une voile pour les cas de vent arrière, peut-être un panneau solaire avec un petit moteur électrique pour les montées…
Et il se mit au travail sans plus tarder. D’abord partir de la baignoire qu’il avait à sa disposition. Celle-ci se révéla trop lourde, en fonte, il ne put la déplacer qu’avec grand peine. Il lui fallait une baignoire plus légère, celle de sa salle de bain, en plastique devrait suffire. Tout commença par un travail de plomberie pour effectuer le transfert. Les roues seraient prises sur les vieux vélos, les chaines également. Il pédalerait couché sur le dos. On ne pouvait pas rêver mieux. Il prit une des voiles du bateau qu’il planta dans la bonde.
Pour l’énergie solaire,- On attendra que je puisse me procurer un panneau et un moteur électrique. Pour le moment, je vais utiliser le moteur de la vieille tondeuse à gazon.-t c’est ainsi que  le dimanche de la Saint Glin-glin, jour du dé confinement, très fier, Onésime emprunta la Grand’rue du village au volant de sa baignoire à pédales et roulettes au grand ébahissement de la population, les chiens par leurs aboiements n’étaient pas en reste. Il avait écrit sur les flancs de la baignoire en lettres majuscules : ONESIME I
RB 14/4/2020

Enfermement

Ils m’ont enfermé.
Ils m’ont dit : « suis les lignes jaunes sur le sol et fais bien attention de ne pas en sortir, si tu as le malheur de poser un pied dehors tu t’en mordras les doigts ».
J’ai suivi les lignes jaunes depuis la porte d’entrée. j’étais mort de peur.
Le gros costaud était ridicule avec son masque de Sarko, le bas de sa barbe en dépassait. Il parlait d’une voix grave mais avec violence. Cela lui donnait un air vraiment méchant. Il m’a poussé pour me faire avancer plus vite. L’autre, le petit nerveux, avait lui aussi un masque.  La tête d’un oiseau de proie avec le nez en bec de corbeau. Il me fixait de ses yeux noirs et criait en me tirant par le bras.
 « Fais comme Boboss te dit ». Me hurlait-il menaçant. La crosse d’un revolver dépassait de sa ceinture.
  Je suis entré.
Les lignes jaunes tracées sur les carreaux du couloir se poursuivaient dans le local.
 Bec de corbeau a claqué la porte ; j’ai entendu la serrure grincer. Boboss m’a crié :
 « Déshabille-toi et reste tranquille. Tu peux hurler tant que tu veux, personne ne t’entendra ».
Je me suis affalé sur le sol. C’était quoi cette pièce ?  Une baignoire dans un coin et rien d’autre. des murs nus, complètement nus. Seuls deux petits tableaux, anachroniques, des portraits. De l’eau croupissante au fond de la baignoire. Une impression de maison abandonnée.
« A poil et vite » me lance Bec de corbeau à travers la cloison.
Je ne me sentais pas vraiment de quitter mes habits, c’était bizarre cette exigence. Il ne faisait pas trop chaud et la pièce me paraissait hostile. je tremblais de froid … ou de peur. Au pied de la baignoire un tas de vêtements. D’où venaient-ils ?
Après de longues heures, rien ne se passait. Pas de bruits, le silence intégral. Je tentais de comprendre pourquoi j’étais là. Pas d’indices, les portraits sur les petits tableaux ne me rappelaient personne en particulier. Les vêtements ressemblaient à ceux que portent les ados. Cette absence de piste rendait plausible toutes les hypothèses. Cela me tournait dans la tête.
Je devais absolument me reprendre.
J’avais dans une poche de mon blouson un morceau de fusain que j’utilisais pour faire les ébauches de mes projets d’architecte.
J’ai dessiné sur la paroi de gauche un lavabo et son miroir, une corbeille et un flacon de shampoing. J’ai continué mon dessein sur le mur du fond.
Petit à petit, je reprenais confiance en moi.
Cela m’avait rappelé les travaux que j’avais proposé à mes derniers clients, Mireille et Luc Maubert, pour leur villa de Tourette ; j’ai complété l’esquisse en mettant trois étagères de verre sur lesquelles j’ai rangés les brosses à dent, flacons de parfum, trousses à maquillage … ça prenait de la gueule.
Je me suis senti beaucoup mieux. le local devenait plus familier. Ce petit travail rapide me raccrochait à mon métier.
J’ai poursuivi par des exercices de respiration, ceux que m’a enseigné ma fille pour me décontracter : Inspirer profondément par le nez, retenir son souffle cinq secondes, puis expirer lentement par la bouche. Je me suis senti beaucoup plus détendu.
Je me suis dit que j’allais dessiner une porte de sortie sur le mur du fond. J’avais les bonnes dimensions dans l’œil. J’en ai dessiné tellement ; cela m’a pris moins de deux minutes. Elle était sympa cette porte virtuelle. Elle allait me permettre de sortir. De mettre fin à ce kidnapping idiot. 
 Mon morceau de fusain a rendu l’âme au bout d’un moment.  Je ne pouvais plus dessiner des meubles. Je me suis endormi.
Des bruits de pas m’ont réveillé. La porte, la vraie, s’est ouverte violemment.  Bobosse et Bec de corbeau sont entrés. Ce dernier me tient en joue avec son pistolet. Je transpire abondamment. 
« Premier avril hurlent-ils en arrachant leur masque ». 
Les cons. 

PG 14/4/2020

 

 


« Frag… rances »

Le mercredi 14 heures, c’est quand on redescend la semaine, me disait toujours un caissier de l’agence bancaire où je travaillais. À cet instant précis, il était pris d’une sort d’euphorie. On avait escaladé la semaine, péniblement jusqu’au mercredi midi et soudain, tout allait bien se passer jusqu’au vendredi 17h30 libérateur. Pourtant il ne foutait rien de ses week-ends. Il devait s’em… à la seule pensée d’avoir à refaire sa prochaine escalade.
Dès le lundi matin, il vivait pour le mercredi 14heures.
Il s’appelait Arthur, Arthur Kanoukian, ancien épicier de son état, embauché pour sa seule capacité à compter les biffetons comme un dieu. Dans son domaine, c’était comme qui dirait une épée. Avant de balancer les liasses aux clients, elles passaient entre ses mains en émettant un frrtt, frrtt, frrtt même qu’on aurait dit qu’il dressait des insectes.
Pendant ses congés, notre caissier, ancien épicier était aussi un turfiste ; il filait un coup de main à la caisse de l’hippodrome de Villeurbanne. Il pensait canasson, vivait canasson, peut-être même qu’il en mangeait. Je n’ai jamais pu en bouffer, c’est un si bel animal. Vous me direz, les chinois bouffent bien du chien ! On n’est pas plus malins ! Ils font même des combats de chiens, comme nous des courses de chevaux, et ils parient sur celui qui mettra l’autre au tapis. Arthur, il s’en fout de tout ça, il compte de l’oseille qui ne lui appartient pas et redescend « sa » moitié de semaine, béat, en levant les bras comme un vainqueur d’étape du Tour de France. Le Tour de France, il connaît à peine, lui ce n’est pas L’Équipe, c’est Paris- Turf, pourtant il met toujours de côté les anciens numéros de la Cote Desfossés.
«Tu lis la Cote Desfossés, Arthur  » «Non c’est pour mon beau-frère, il vend des fromages sur les marchés». C’était l’époque où on avait le droit d’envelopper le fromage dans du papier journal. Je me souviens des « Valençay », fromages du Berry en forme de pyramide, passés dans la cendre. En défaisant l’emballage, on ne savait plus qui avait gagné la partie, la cendre du fromage ou l’encre du journal ? Allez « 1 partout la balle au centre ». Je passais les doigts sur le papier et essayais de deviner les titres maculés, Foot : «l’Allemagne bat la France…à zéro ». «Guy Mollet refuse de… » «La critique… le dernier spectacle de ha Guitry».  Encense ? Étrille ? Dézingue ? Applaudit ? « Les Etats-Unis déclarent la guerre à… ? Des fragments…
CR 15/3/19

Fragments de 5 ans,

Ma poupée, ma puce, ma chérie, mon amour, mon bébé, comment en ce grand jour vais-je t’appeler ? Tu es belle comme un ange. Tes cheveux blonds frisés descendent sur tes épaules. Ils sont retenus par un nœud de velours rose. Ton nez mutin, tes yeux rieurs et tes bras toujours prêts à m’enlacer sont un cadeau permanent.
Les cartes d’invitations sont envoyées. Nous les avons réalisées ensemble : un chat dessiné dans un parterre de fleurs. De tes petites mains qui ont gardé ce côté potelé de l’enfance, tu as saisi délicatement les feutres et avec une attention, étonnante pour une fillette de ton âge, tu as colorié. Du bleu pour Lucette, du rose pour Julie, du turquoise pour Océane, du jaune pour Émilie, du rouge pour Paul, du vert pour Yann.
– Une pour moi aussi ! orange et violette, tu es une véritable artiste !
La liste de courses à la main, je parcours les rayons du supermarché. À cette heure matinale, peu de monde. Des œufs, de la farine, du mascarpone, du Nutella bio, des sucettes (tant pis pour les dents, ce n’est pas un jour ordinaire). Du jus d’ananas, de pommes, de l’Icetea à la pêche. J’espère n’avoir rien oublié.
La balance, le moule beurré, le chocolat râpé, la levure, la farine, le sucre, sont sur la table. Le tout mélangé dans le saladier et au four ! Les verrines, au fond des biscuits arrosés de sirop de canne, un peu de Nutella, une couche de mascarpone, le tout décoré d’un égrenage de biscuits bretons au beurre.
– Hum ils vont adorer !
Sous la tonnelle couverte de vigne dont s’échappent les futures grappes, la table est dressée. Elle est recouverte d’une nappe en coton ; l’imprimé représente une ambiance de cirque. Assiettes en carton de toutes les couleurs. Au milieu de la table, en tas, des chapeaux coniques, des moustaches et des serpentins. Chacun choisira selon son humeur.
Les parents déposent leurs enfants. Les petits s’embrassent, babillent ; en quelques minutes, l’espace est transformé en volière. Cinq ans, ce sont déjà des grands. Il y a ceux qui ne tiennent pas en place, les bavards, les comiques, les timides. Le gouter avalé, chacun choisit son déguisement. D’un coup de baguette magique : grand silence ! Une apparition : Un clown, un vrai clown avec ses chaussures trop grandes, son habit à losanges rouges, son chapeau écrasé, ses grands yeux blancs comme sa bouche et son indispensable nez rouge. Leurs visages interdits, très vite Auguste les déride. Il organise des jeux : à celui qui répondra le premier. Les rires éclatent. Leur bonheur est contagieux.
Les parents reprennent leurs enfants en fin d’après-midi, les vêtements de travers, les cheveux en bataille, les doigts collants, tout comme la bouche. Avec le dernier bisou, Cloé et moi auront les stigmates de l’anniversaire sur nos joues.
JB 15/3/2019

Cuisiner

Cuisiner, … cuisiner… ça fait un bruit de beurre qui grésille, ça sent la peau de poulet rôti, ça à l’aigreur du pépin de grenade dans la salade d’endives.
Pas besoin d’ouvrir la bouche en grand : faire vibrer le plaisir des sons derrière un sourire des lèvres. Cuiiii-siii-ner !
Il est tellement dynamique ce verbe, il bouge, il fonce, c’est un élan. Impossible de cuisiner sans mouvements, sans désordre, sans dérangement…
Cuisiner, ça déménage. Cuisiner, ça fait empoigner les casseroles, agiter les cuillères en bois, gonfler les morilles dans l’eau tiède, battre les œufs, ça agite le paprika et la maniguette, ça fait chanter le piment d’Espelette et la cannelle, ça envoûte avec la cardamome et la badiane.
Cuisiner, ça prend du temps, ça crée des surprises, ça permet des innovations, ça rend créatif, mais oui, le poivron rouge et la butter nut, mais bien sûr le citron confit dans le filet mignon. Et tes morilles gonflées, tu les mets avec quoi ?
Cuisiner, c’est pas de la littérature. Même si vous êtes poète, inutile d’essayer les escargots au serrano, ni les bulots au cacao, ni les maquereaux aux pruneaux.
Cuisiner c’est aimer, c’est donner, c’est jouer, partager, enchanter, régaler.
Cuisiner c’est pour les voir sourire, les entendre faire « mmmm », les sentir rassasiés et heureux.
Cuisiner, c’est faire des tartes avec ses petits-enfants, c’est les autoriser à faire sauter des crêpes et à les manger par terre, c’est leur faire découvrir la vraie purée.
Cuisiner, ce n’est pas pour les timides, les rétrécis, les timorés, les peureux. Il leur manque le courage dans l’affrontement. Ils s’affolent devant l’odeur des échalotes roussies. Ils ont la nausée devant le sang du civet. Ils pleurent l’huile d’olive et le cumin dans la marinade de l’épaule d’agneau.
Non, pour cuisiner, il vous faudra, une pincée d’audace, une cuillère de bravoure, 500 g de générosité, 500 g de cœur, saupoudrer avec de la clémence vieillie en fût de chêne et un peu de témérité, relever le tout avec un tour de moulin d’intrépidité. N’hésitez pas à y mettre les doigts, le nez, à goûter, à lécher la cuillère, à écouter la rondeur du bouillonnement, la
musique de la friture. Servir chaud.
Et tes morilles alors ?
Une poularde peut être ? Avec du vin jaune… Ou un filet de veau, avec du Sancerre…
Tu me diras.
OC 23/11/18

Ma cabane

Ma cabane n’est pas une masure où, franchi le seuil, souffle l’indigence, le négligé, ’impuissance, le misérabilisme.
Ma cabane n’est pas une cahutte, sol en terre dure, toit de branchages disjoints, espace restreint, porte étriquée, vue sur rien.
Ma cabane n’est pas une case, de chef ou de l’oncle Tom, murs de paille tressée, toit idem, pas de porte, pas de fenêtre, abri de quelque vieillard édenté.
Ma cabane n’est pas ce cabanon romantique, dans une anse, face à la mer, sol de galets polis, barque tirée sur la rive, à la porte, tapis d’algues séchées au seuil ; le toit en planches jointes protège d’un soleil bienveillant des amours enflammées.
Ma cabane n’est pas un abri pour ceux qui n’en ont pas, figures errantes, faméliques et pathétiques, que nous voyons, images à peine floutées, le temps d’un projet médiatique pour ébranler nos consciences.
Ma cabane n’est pas un igloo sur une étendue glacée, dans un blizzard opaque, petits hommes dont on voit les yeux plissés sous leur cape de fourrure et leur sourire gercé.
Ma cabane n’est pas un chalet de planches vernies, de fenêtres décorées de sculpture naïves et de pots fleuris, à flanc de montagne, pente légère de prairies ondoyantes, de cieux bleus zébrés de nuages en langues étirées.
Ma cabane n’est pas un mas de Provence en pierre blanche, volets bleus et toit de tuiles ocre jaune- rouge, refuge de fraicheur, havres pour conteur de gestes médiévales ou lettres de mon moulin.
Ma cabane n’est pas une loge, un balcon à l’opéra où l’on écoute et parfois entend les plaintes ou les fureurs, les cris d’angoisse, de désespoir, les soupirs des bonheurs, des extases mélodiques et harmonieuses des amours insensées.
Ma cabane est dans l’espace … à cinq dimensions : l’espace, le temps… et le rêve ; les vraies dimensions du bonheur et aussi des pleurs, le temps de l’espoir et du désespoir, l’espace infini où l’on peut être et ne pas être, intrication ou enchevêtrement.
Le rêve… ma cabane, mon refuge, mon abri.
GB 15/3/19

Le vieil homme

Le vieil homme contemplait la mer
La mer digérait l’histoire
Avant qu’il fût, déjà elle s’étalait
Des rochers rouges à l’horizon.
Balbutiant le long des plages
Miroir intense de l’aube au crépuscule
Elle s’imposait vaste et sereine.

Dans la tête du vieil homme les morceaux de sa vie
S’entrechoquaient, trajectoires éphémères.
Aux profondeurs des flots les souvenirs s’effilochaient
Pour certains, et pour d’autres devenaient galets lisses et brillants.

La grand-mère du vieil homme avait coulé avec le Titanic
Laissant dans la famille une légende inachevée, des secrets chuchotés.
Son enfance en avait été parsemée de ces vies emportées par les flots.
Sur tous les océans il avait bourlingué
Tentant d’échapper à ces désespérants murmures.

D’un œil distrait il observait le jeune garçon qui perché sur un rocher,
Du haut de ses douze ans, dandinant sans conviction
Sa courte canne à pêche, l’oeil vague ruminait LA question
Destinée au grand père :

« Dis papou tous ces gens qui terminent leurs rêves au fond de la mer,
Tous ces africains qui viennent chez nous
Et coulent souvent entre Libye et Sicile, ces jeunes, ces femmes,
Ces enfants, est-ce qu’ils finissent dans le ventre des poissons
Que nous mangeons ».

Les souvenirs submergèrent le vieil homme.
Des naufragés il en avait sauvé du temps où il commandait des navires.
Des drames il en avait vécu.
Pourtant dans l’interrogation du petit, une autre tragédie,
Un désespoir profond bousculait son existence.
Que répondre ?

Le vieil homme contemplait la mer
La mer digérait l’histoire
Avant qu’il fût déjà elle s’étalait
Des rochers rouges à l’horizon.
PG 04/2019

La canicule

– Quelle chaleur ! Je crois que je vais dormir au frais ! Et toi Alexis ?
– Déborah quel mois sommes-nous ? Je suis complètement assommé.
– Juin, ça ne te dit rien ? Le mois de la canicule ce mot en usage depuis l’antiquité. Quelle étymologie ? Toi qui as fait du latin.
– Je trouve canis le chien. C’est ça ? Pour le suffixe j’ai une idée. Quand il fait chaud on coince la bulle. Pas vrai ? Donc je marie canis et bulle et ça fait canicule. La période où le chien coince la bulle. On y est !
– Toujours le gout de la plaisanterie ! Revenons aux latins. Je remarque que ceux-ci liaient le mot canicule au mois de juin. C’est étrange non ? Un mot marié à un mois.
– Les anciens liaient beaucoup les évènements à la course des astres. Vrai ou faux ?
– Vrai !
– Au mois de juin le ciel fait apparaître de nouvelles constellations. Vrai ou faux ?
– Vrai !
– Au mois de juin apparait la Constellation du Chien, Canis en latin.
– On y est, canicule et Constellation du Chien sont liées. Mais pourquoi le suffixe cule ?
– En bon français les suffixes en cule annoncent en général un diminutif, par exemple dans minuscule, c’est celui qui est encore plus petit qu’un minus, toi par exemple.
– Tu me provoques ! Ta théorie ne tient pas, je suis majuscule et non pas minuscule.
– Arrête ! Revenons à canicule. Je reprends la thèse de canis et de petit. Canicule voudrait dire le petit chien ! N’est-ce pas poétique ? Donc quand il fait chaud, on caresse le petit chien !
– Je revois la voute des cieux. Au mois de juin, apparaît la Constellation du Chien, dont l’étoile la plus brillante est Sirius ou Canicula, qui a donné la canicule !
– Ouah ! T’es vraiment bonne avec tes étymologies ! Pour ta récompense je vais te citer un dicton :
Lorsque les canicules s’emballent, l’Afrique est bonne hôtesse !!
RB 23/1/18